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 Antidépresseurs et Anxiolytiques : près d'un million d'utilisateurs

Les troubles anxieux et dépressifs sont les plus prévalents au sein de la population mondiale. La dépression et l’anxiété affecteraient près d’une personne sur dix, d’après l’Organisation mondiale de la santé. Au Québec, les troubles anxio-dépressifs, qui représentent près de 65 % de l’ensemble des troubles mentaux, affectent environ 7,5 % de la population, selon l’Institut national de santé publique.

 

La dépression est la première cause de morbidité et d’incapacité dans le monde. Selon ces estimations, plus de 300 millions de personnes sur la planète seraient aux prises avec ce trouble de santé mentale. Cela correspond à une hausse de 18 % entre 2005 et 2015. «Ces nouveaux chiffres tirent la sonnette d’alarme pour que tous les pays repensent leurs approches en matière de santé mentale et s’en occupent en lui accordant l’urgence nécessaire», a déclaré Margaret Chan, directrice générale de l’OMS.

 

L’organisation recommande d’accroître les investissements pour aider les personnes ayant des troubles de santé mentale. «Même dans les pays à revenu élevé, près de 50 % des personnes ayant une dépression ne sont pas traitées», signale l’OMS. Les traitements proposés sont généralement la psychothérapie, les antidépresseurs ou les deux. Or, le retour sur l’investissement est positif, puisque «chaque dollar US investi pour l’extension des traitements de la dépression et de l’anxiété en rapporte 4 en termes d’amélioration de la santé et de capacité au travail».

Consommation d'antidépresseurs en hausse dans les pays de l'OCDE

La consommation d’antidépresseurs a «sensiblement augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE depuis 2000» d’après un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique. En 2011, le Canada figurait au palmarès des plus grands consommateurs, parmi les pays étudiés, devancé seulement par l’Islande et l’Australie. Le Canada n’était pas présent dans le classement de l’année 2000, donc il n’est pas possible de commenter l’évolution.

 

Le niveau de consommation est mesuré via la dose quotidienne définie pour 1000 habitants par jour. «La dose quotidienne définie correspond à la dose supposée moyenne de traitement par jour du médicament utilisé dans son indication principale chez l’adulte», précise le rapport de l’OCDE. Au Canada, cette dose s’élève à 86, contre 56 pour la moyenne des pays évalués.

 

«Les recommandations concernant le traitement pharmaceutique de la dépression varient d’un pays à l’autre, et on observe également d’importantes disparités dans les habitudes de prescription chez les médecins généralistes et les psychiatres dans chaque pays», constate l’OCDE.

 

Plusieurs facteurs pouvant expliquer la hausse de la consommation d’antidépresseurs sont suggérés, comme l’accroissement de l’intensité et de la durée des traitements, ainsi que l’utilisation d’antidépresseurs pour soigner d’autres troubles de santé mentale, comme l’anxiété généralisée ou des formes légères de dépression. «L’évolution de l’acceptabilité sociale et la volonté d’obtenir un traitement lors des épisodes de dépression jouent aussi un rôle dans la hausse de la consommation.» Une autre explication avancée serait l’insécurité provoquée par la crise économique de 2008.

Au Québec: Plus d'antidépresseurs et moins d'anxiolytiques
Troubles dépressifs: médicaments, psychothérapie ou les deux?
Les femmes utilisent plus d'antidépresseurs et d'anxiolytiques

Si le nombre de personnes ayant une ordonnance pour les antidépresseurs augmente à la fois chez les femmes et les hommes, les hommes sont deux fois plus nombreux à en avoir une. Le nombre de personnes ayant une ordonnance pour les anxiolytiques diminue chez les deux sexes. On observe aussi que les femmes sont près de deux fois plus nombreuses à en avoir une.

 

«Les troubles mentaux diagnostiqués, particulièrement les troubles anxieux et les troubles dépressifs, sont plus présents chez les femmes que chez les hommes», peut-on lire dans le Plan d’action en santé mentale 2015-2020 du ministère de la Santé. Parmi les médecins et psychologues interrogés, plusieurs ont fait savoir que les femmes consultent davantage que les hommes.

En ce qui concerne le traitement de la dépression, la psychothérapie et les antidépresseurs sont efficaces. Pour une dépression légère ou modérée, la thérapie serait recommandée, explique Camillo Zacchia et si la réponse n’est pas adéquate, des antidépresseurs peuvent être ajoutés. Pour une dépression plus sévère, les deux formes de traitement devraient être recommandées, dit le psychologue. «Dans la réalité, il y a très peu de gens qui ont accès à la psychologie», en raison notamment du fait que c’est dispendieux au privé et que dans le secteur public, le processus peut être long. Or, la thérapie est plus efficace pour prévenir les rechutes, note-t-il.

 

Hani Iskandar abonde dans le même sens. «Pour améliorer le traitement de la dépression, c’est sûr qu’il faut ouvrir les accès à la psychothérapie ou à la thérapie», dit-il. En effet, d’autres professionnels que les psychologues, comme les travailleurs sociaux peuvent aussi offrir de la thérapie, par exemple. Le médecin psychiatre se désole que les personnes n’aient pas toujours accès à la psychothérapie, notamment en raison des tarifs aux privés qui ne sont pas accessibles à tous et des listes d’attente dans le réseau public.

 

Ainsi, les médecins en première ligne doivent souvent commencer par prescrire un antidépresseur, relate M. Iskandar. Or, la psychothérapie permet de diminuer le taux de rechute et assure un plus grand succès. En ce qui a trait à la médication, il est important de maintenir la dose, même s’il y a une amélioration. Par exemple, si le patient cesse les antidépresseurs après six mois, le taux de rechute est d’environ «70-80 %», indique le médecin. Ce taux diminue à «30-40 %» après un an.

Canada
Des risques associés aux benzodiazépines

Les benzodiazépines, des neurodépresseurs, sont utilisés pour réduire l'agitation et l'anxiété, et favoriser le sommeil, selon Santé Canada. Or, ces médicaments peuvent mener à une accoutumance. «Lorsque l'usage des benzodiazépines est soudainement arrêté ou lorsqu'on prend une dose plus petite que la normale, des symptômes de sevrage peuvent apparaître», peut-on lire.

 

Si des anxiolytiques peuvent être utilisés pour calmer un patients en état de crise, de les utiliser à long terme n’est pas une bonne idée explique M. Iskandar. «Les benzodiazépines créent une dépendance surtout quand vous les utiliser pour plusieurs mois.» Ils peuvent aussi engendrer des problèmes de mémoire et de concentration lors d’une utilisation prolongée, indique le médecin psychiatre. Il déplore notamment le fait que certaines personnes âgées continuent de prendre des anxiolytiques qui leur avaient été prescrits plusieurs années auparavant, malgré les risques

 

Aujourd’hui, il y a une plus grande «vigilance» quant aux anxiolytiques, notamment les benzodiazépines, observe M. Iskandar. Pour ces raisons, les omnipraticiens vont plutôt prescrire des antidépresseurs afin de soigner l’anxiété. Les antidépresseurs sont «le traitement de choix médical pour l’anxiété», confirme Camillo Zacchia. Ils sont prescrits pour les troubles anxieux, les troubles paniques et autres. D’ailleurs, «les anxiolytiques, les tranquillisants sont contre indiqués pour les troubles anxieux», ajoute le psychologue, expliquant qu’ils peuvent rendre la personne plus anxieuse à long terme et qu’ils sont une forme d’évitement. «Et l’évitement augmente les troubles anxieux», prévient-il.

Comparativement aux individus âgés de 18 à 54 ans, en 2016, les personnes âgées de 55 ans et plus étaient près de deux fois plus nombreuses à prendre des antidépresseurs et quatre fois plus nombreuses à prendre des anxiolytiques.

 

Chez les jeunes de moins de 18 ans, le nombre de personnes ayant une ordonnance d’antidépresseurs, bien qu’étant largement inférieur à celui des adultes, a tout de même augmenté de 45 % entre 2011 et 2016.

Le nombre de personnes ayant une ordonnance pour les antidépresseurs est en augmentation, avec une croissance de près de 27 % en cinq ans. Durant cette même période, le nombre de personnes distinctes ayant une ordonnance pour les anxiolytiques a diminué de 3,5 %.

 

De plus, entre 2011 et 2016, les services reliés aux nouvelles ordonnances ont grimpé de avec 23 % pour les antidépresseurs. Ils ont fléchit de plus de 8 % pour les anxiolytiques. 

Selon Hani Iskandar, médecin psychiatre et chef médical des soins intensifs à l’Institut Douglas, la hausse du nombre de prescriptions d’antidépresseurs n’est pas une source d’inquiétude, pour autant que ces médicaments sont utilisés de manière appropriée. «On diagnostique mieux qu’avant, ça c’est sûr et certain. Et c’est déjà très bien ça. Vraiment les omnipraticiens en première ligne, ils ont une très bonne formation, le diagnostic est bien fait» et tous ont en main les critères d’une dépression majeure, dit-il.

 

En outre, «il y a beaucoup d’indications pour les antidépresseurs» qui ne sont pas seulement utilisés dans le traitement de la dépression majeure. Ils peuvent être prescrits pour les troubles anxieux ou du sommeil, par exemple. En ce qui concerne les troubles dépressifs, «on voit dans notre pratique que les cas augmentent», observe, en outre, M. Iskandar, rencontré en personne à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.

 

Les omnipraticiens signent la majorité des prescriptions

On observe que les omnipraticiens prescrivent plus de 80 % des antidépresseurs et des anxiolytiques, lorsqu’on tient compte des services reliés à une nouvelle ordonnance et à un renouvellement d’ordonnance. Le recours au médecin de famille est normal et même souhaitable selon des experts consultés.

«C’est bien que la première ligne commence à nous aider dans le traitement de la dépression», commente le médecin psychiatre Hani Iskandar. «Ils sont pas mal bien rodés dans ça. Ce qui nous donne l’occasion d’aller chercher les cas de dépression réfractaires ou résistants et plus lourds.»

Les médecins sont-ils adéquatement formés pour gérer les patients ayant des troubles de santé mentale qui aboutissent dans leur bureau? «Les médecins travaillent de plus en plus en collaboration avec d’autres professionnels de la santé. Cette façon de faire permet d’offrir, de plus en plus, des soins complets aux patients qui sont dans le besoin», commente Leslie Labranche, relationniste au Collège des médecins du Québec. «De plus, le règlement sur les infirmières praticiennes spécialisées, qui est actuellement à l’étude à l’Office des professions, permettra de former des IPS en santé mentale. De plus, une formation supplémentaire est prévue dans les universités pour former en santé mentale les IPS en première ligne.» Du côté de l’Ordre des psychologues du Québec, la relationniste Krystelle Larouche avance que «la présence des psychologues dans les GMF est une des bonnes solutions pour désengorger les bureaux des médecins de famille».

 

Dans un rapport publié en 2012 et traitant de la santé mentale, le Commissaire à la santé et au bien-être faisait état du  «manque de soutien offert aux omnipraticiens pour assurer les suivis en santé mentale» et de «l’utilisation non optimale de plusieurs professionnels de la santé et des services sociaux». Le Plan d’action en santé mentale 2015-2020 reconnaît que les médecins de famille sont les plus souvent consultés pour les besoins relatifs à la santé mentale. «Malgré la fréquence des consultations relatives à ce secteur d’intervention, le suivi des personnes atteintes de troubles mentaux par les médecins de famille n’est pas optimal», peut-on lire. «De nombreux médecins de famille se sentent compétents pour assurer le suivi de personnes atteintes d’un trouble mental modéré, mais peu outillés pour intervenir auprès de personnes qui présentent un trouble mental grave.» Le ministère de la Santé souligne ainsi l’importance de la fonction de médecin spécialiste répondant en psychiatrie, ainsi que de la formation initiale et continue des médecins sur les pratiques en santé mentale.

«On a beaucoup recours au médecin de famille et c’est assez normal dans la mesure où on aurait accès facilement a un médecin de famille», indique Rose-Marie Charest, psychologue et ancienne présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. Le fait de consulter le médecin de famille est d’ailleurs une «bonne pratique» parce qu’il peut vérifier s’il y a des causes biologiques à l’origine des troubles de santé mentale. Cela étant dit, les Québécois doivent avoir accès à un médecin de famille, d’une part. Selon les dernières données disponibles du ministère de la Santé, un quart d’entre eux n’en aurait pas. D’autre part, le médecin de famille doit lui-même avoir accès aux autres spécialistes auxquels ils peuvent référer les patients si nécessaire, fait valoir Mme Charest. En outre, elle insiste sur l’importance d’avoir une évaluation du patient par un psychologue pour le diriger vers les services appropriés.

 

Pour sa part, Saideh Khadir, médecin de famille qui pratique aussi à l’urgence du CHUM, estime qu’il faut donner davantage de formation en santé mentale aux médecins. «Un, parce qu’on n’a pas assez accès aux psychologues et deux, parce qu’il y a au moins 30 % des consultations qui sont d’ordre de santé mentale.»

D’après l’Institut d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), les médicaments sont «l’option thérapeutique la plus souvent proposée par les médecins aux patients qui présentent des troubles mentaux» et «l’accessibilité aux services de psychothérapie est limitée». Les coûts des services dans un cabinet privé constituent notamment un obstacle pour les personnes n’ayant pas les moyens financiers.

 

En ce qui a trait à l’efficacité de la psychothérapie, elle est jugée comme étant «aussi efficace que la pharmacothérapie lorsqu’il s’agit de réduire les symptômes des patients souffrant de troubles anxieux ou dépressifs dits modérés». De plus, les effets bénéfiques demeurent plus longtemps après la fin du traitement, ce qui «offre donc une meilleure protection contre la rechute». Pour les patients ayant des troubles anxieux et dépressifs graves, la combinaison de la psychothérapie et des médicaments est recommandée.

 

En outre, si les coûts médicaux associés à la psychothérapie sont «équivalents» à ceux associés à la pharmacothérapie, la psychothérapie est «plus rentable à long terme». L’INESSS considère que le Québec doit «améliorer l’accès aux services de psychothérapie notamment à travers une bonification de la politique de couverture de ces services par son régime public d’assurance». Désormais, l’Institut se penche sur la manière d’élargir la couverture des services, ce qui va constituer le troisième et dernier volet de son avis sur l’accès équitable aux services de  psychothérapie.

Efficacité de la psychothérapie pour soigner les troubles anxieux et dépressif

Benzodiazépines. Photo : Elsa Iskander

Antidépresseurs. Photo : Elsa Iskander

Le psychologue Camillo Zacchia aborde les différentes options de traitement pour la dépression.

«La persistance aux antidépresseurs était problématique, car seulement 38,5 % de tous les nouveaux utilisateurs d’antidépresseurs (peu importe leur diagnostic) et 46,3 % de ceux ayant un diagnostic de dépression majeure étaient toujours sous traitement après  six mois», observe une étude de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, publiée en 2011. «Concernant la qualité de l’usage des antidépresseurs chez les nouveaux utilisateurs souffrant de dépression majeure, les critères de choix de l’agent initial et de la dose quotidienne prescrite étaient en général bien respectés. Cependant, la durée totale de traitement était inférieure à huit mois dans la majorité des cas et peu de visites médicales de suivi ont été effectuées dans l’année suivant le début du traitement

«De plus en plus, c’est des états dépressifs chez les jeunes, on ne voyait pas ça avant», remarque Saideh Khadir, qui pratique à la fois la médecine de famille et la médecine d’urgence au CHUM. Rencontrée en personne à Montréal, elle a dit s’inquiéter de la hausse des médicaments prescrits chez les patients en santé mentale et de la banalisation des médicaments en santé mentale. «Il y a des effets secondaires qu’on minimise, on donne ça comme des bonbons, surtout chez les enfants», alors que leur cerveau est «en développement», signale Mme Khadir. «Je trouve que c’est vraiment inquiétant.» Mais encore, pour une dépression, dans la majorité des cas la psychothérapie est suffisante, précise-t-elle. «Les médicaments, certains ont en besoin, mais c’est une minorité.» Et, «l’être humain étant un être de relation, ce n’est pas une molécule qui va tout à coup faire un miracle dans le cerveau émotionnel de la personne».

 

Elle déplore également les pressions que subissent les médecins de la part des assureurs. Par exemple, lorsqu’une personne est en arrêt de travail, si elle n’est pas médicamentée, cela peut poser des difficultés. Par ailleurs, la promotion des compagnies pharmaceutiques auprès des médecins pour certaines médications en santé mentale peut aussi entrer en ligne de compte. Mais encore, la «médecin rapide» qui est encouragée pose problème, tout comme les difficultés d’accès à la psychothérapie.

Hani Iskandar. Photo : Courtoise de l'Institut Douglas.

Camillo Zacchia. Photo : Elsa Iskander

En ce qui concerne l’anxiété, c’est un instinct naturel, explique Camillo Zacchia, psychologue clinicien et conseiller principal au Bureau d'éducation en santé mentale de l'Institut Douglas. Lorsque celle-ci est exagérée et qu’elle entrave le fonctionnement quotidien cela devient problématique. Il en va de même pour le fait d’être déprimé. Selon lui, la prévalence de l’anxiété n’est pas plus élevée qu’auparavant. Invité à commenter la hausse des prescriptions d’antidépresseurs (qui sont aussi utilisés pour le traitement des troubles anxieux), M. Zacchia pense que les personnes sont davantage ouvertes à chercher de l’aide de nos jours.

 

«Et en général, dans notre culture nord-américaine présentement, on a plus une tendance à vouloir tout adresser, tout régler», poursuit-il. «On tolère moins les problèmes.» Si c’est une bonne chose d’essayer de régler les situations problématiques, dans la vie, on ne peut pas tout changer et il faut parfois accepter ce que l’on ne peut pas changer, dit-il sur un ton plus philosophique. «Je pense que c’est pour cette raison qu’il y a une vague de popularité de toutes les approches d’acceptation, la méditation, le yoga, etc. Ce sont des choses qui ne règlent pas les problèmes, mais qui nous aident à lâcher prise», soutient le psychologue rencontré à l’Institut Douglas.  

Hani Iskandar, médecin psychiatre et chef médical des soins intensifs à l'Institut Douglas, met en garde contre les risques de dépendances à certains anxiolytiques.  

Photo : Wix

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